Conférence Perception visuelle et Inclusion : Handicapé, mais Actif & Résilient
Deux fois par an l’association ARIBa, regroupant des professionnels de la basse vision (ophtalmologues, opticiens, orthoptistes, ergonomes …) organise un événement réunissant pas loin de 300 congressistes. Cette année, le 12ème congrès a eu lieu au Touquet Paris-Plage, du 9 au 10 novembre 2018. Il a été organisé en partie par Robert Waquet (opticien basse-vision à la retraite) et avait pour thème : « PERCEPTION VISUELLE ET INCLUSION ». Parmi les orateurs conviés, Sébastien Joachim a été invité à prendre la parole pour aborder le sujet du sport et du handicap visuel. Il y retrace et explique le rôle que ces activités sportives ont tenu et tiennent encore dans son existence.
Témoignage d’un déficient visuel
« Je m’appelle Sébastien Joachim, j’ai trente-neuf ans et je suis atteint d’une rétinopathie appelée choroïdérémie. C’est une maladie génétique rare et dégénérative qui comme son nom l’indique touche la choroïde, tissu nourricier de la rétine. En disparaissant, elle entraîne la destruction progressive des cellules réceptrices de la rétine devenues incapables de se reconstituer, en commençant par les bâtonnets, responsables de la vision périphérique et de la perception des mouvements. Puis vient le tour des cônes situés au centre (fovéa), cellules qui permettent la perception des couleurs et des détails. Cette dégénérescence mène inéluctablement à la cécité.
La choroïdérémie ou CHM touche 600 à 800 personnes en France, ce qui représente 0, 00001 % de la population. Et parmi celle-ci, il y a encore 10 % (60 à 80 personnes) qui a une rétine si fine et si fragile qu’elle se troue, laissant passer le liquide vitré. Cette intrusion créée une pression sur la membrane rétinienne qui se décolle puis se déchire. J’appartiens, malheureusement pour moi, à ce dernier groupe circonscrit. Cette fragilité fait qu’il est impossible de recevoir des soins nécessitant l’utilisation d’un scalpel. Or il existe une solution de thérapie génique, permettant de stopper l’évolution de la CHM. Il s’agit pour cela de découper la rétine et d’y injecter un vecteur (virus désactivé) capable de combler la défaillance génétique à l’origine de cette rétinopathie. Vous comprenez qu’il est impossible, de m’appliquer cette solution, car l’acte chirurgical ferait plus de dégâts qu’autre chose. La dégénérescence continue donc de progresser sans solution pour le moment.
« On ne peut rien faire pour vous ! »...
J’avais cinq ans lorsque, lors d’une visite de routine, le premier diagnostic de rétinite pigmentaire (maladie voisine avec des symptômes similaires) a été posé. À ce moment, le corps médical, dans un aveu d’impuissance, nous a fait savoir qu’il n’y avait rien qu’il puisse faire. C’est une phrase que j’ai entendue régulièrement depuis, sans soutien, ni orientation. Heureusement, certains ophtalmologues orientent et donnent des informations utiles pour faire face, mais cela n’a pas été le cas à cette époque.
La maladie a évolué avec l’âge et mon acceptation de celle-ci a traversé différentes étapes. J’ai eu une prime enfance normale parmi mes frères et sœur, car mes parents (merci à eux) ont tenu à ne pas faire de différence entre nous en ne me traitant jamais comme un malade. Ce qui a fait que je me suis toujours considéré comme les autres enfants. Les symptômes ont petit à petit évolué en silence. L’hyper sensibilité à la lumière provoquait des douleurs, ainsi que des migraines et des vomissements en fin de journées ensoleillées. La cécité nocturne, c’est-à-dire l’incapacité de voir la nuit et dans la pénombre a provoqué un certain nombre d’incidents et enfin la perte de la vue progressive de la périphérie vers le centre expliquée ci-dessus, m’a mené trois décennies plus tard vers un handicap visuel en constante évolution, prémices à la cécité.
Entre douze et seize ans, mon champ visuel périphérique disparait. Cependant, je refuse de voir les médecins, qui ne peuvent rien pour moi, mais sont curieux de constater l’évolution de cette maladie rare. Je n’ai absolument aucune envie à ce moment d’être traité comme un cobaye ayant inconsciemment recours au déni.
Vers seize ans, je retourne vers les médecins qui m’imposent une batterie de tests. Les résultats - notamment le Goldman - sont un choc, car ils créent une prise de conscience brutale des dégâts. L’impact psychologique est indéniable, faisant naître une sorte de processus d’assimilation et de réaction de survie pour être capable de composer avec la maladie et ses conséquences. Le déni se transforme en un demi-déni et la rationalisation me rend capable de positiver, de me dire que je vois encore très bien, que j’ai le temps.
Puis le hasard de la vie ¬m’a fait subir deux agressions dont l’une assez violente et qui s’est terminée à coups de poings et de pieds dans la figure. Ensuite, la seconde, un racket sans violence physique a provoqué un déclic radical motivé par un sursaut d’amour-propre. Je décidais alors de ne plus subir, de ne plus jamais être la victime de qui que ce soit ou de quoi que ce soit, pas même de la CHM.
Mon réflexe à été de prendre les armes, au sens figuré bien sûr, et de répondre, de rendre coup pour coup. Il s’agissait de « survivre » à la confrontation et de ne plus en souffrir. Pour cela, je suis retourné vers les sports d’autodéfense (boxes pied-poing) et un sport de renforcement physique (musculation). Cette prise de décision a marqué le début de ma résilience face à la cécité.
« Être résilient : rebondir ! »...
À l’origine, le terme de résilience désigne une propriété physique des matériaux : celle de résister aux chocs. Transposé à l’humain, ce terme qualife la capacité de résister aux épreuves de la vie et aux traumatismes qui en découlent parfois, pour les surmonter.
Les moyens et les outils utilisés pour y parvenir dépendent des ressources personnelles, de la nature et de la personnalité de chacun. Pour ma part, il a été question de m’investir dans mes passions et d’y mettre toutes mes forces : le chant, l’écriture et le sport.. La pratique assidue du sport m’a fourni un cadre sain et positif, ancrage auquel me raccrocher.
« Le sport comme hygiène de vie »...
Le sport et surtout l’affrontement dans la boxe pieds-poings qui peut être relativement violent, est une mise en situation face aux autres. Cela permet d’apprendre à surmonter cette menace réelle ou imaginaire. C’est aussi, une mise en difficulté, car on se retrouve obligé d’assumer le handicap devant des personnes qui n’en sont pas conscientes et en pleine possession de leurs capacités visuelles. Vaincre, ou même perdre, mais résister, m’a procuré le sentiment de me confronter à ces menaces pour les surpasser. Cela m’a aussi donné la sensation d’arracher des victoires personnelles sur la maladie. Depuis cette ultime agression, je m’entraîne cinq fois par semaine, pendant deux heures à deux heures et de mi, routine assidue maintenue jusqu’à aujourd’hui près de vingt-cinq ans plus tard.
« Des effets physiologiques indéniables »
J’ai de suite ressenti les bienfaits physiques et psychiques de cette pratique sportive régulière. Je l’ai conscientisé par la suite, avec l’expérience, puis j’ai conforté ces connaissances par mes lectures et mes études. On travaille en effet un peu la physiologie du corps humain en psychologie. Ces bienfaits ont aussi largement été prouvés expérimentalement, expliqués puis ces faits ont été démocratisés pour être accessibles. L’effort physique contraint le corps à produire des hormones qui agissent sur le moral et le bien-être. J’avais trouvé-là une sorte d’automédication saine et naturelle.
Les endorphines apportent relaxation et bien-être ; la dopamine pourvoit au tonus, au plaisir, à la satisfaction, au bien-être, à la bonne humeur et à la motivation ; l’adrénaline joue un rôle dans le tonus et la réactivité face à l’épreuve physique (aux épreuves de la vie ?) et permet de déstocker les graisses et d’avoir une meilleure image de soi et plus de confiance ; enfin la noradrénaline aide à focaliser l’attention, pour faciliter l’apprentissage et sensibilise aux signaux de récompense, donnant le goût de recommencer par renforcement positif. Tout ceci est une véritable automédication face à mon mal-être et cela vaut mieux que n’importe quelle molécule chimique médicamenteuse contre la dépression.
« Une philosophie combative… et ses bienfaits…»
Cette pratique régulière du sport m’a apporté de la discipline, ainsi qu’une hygiène de vie stricte, saine me permettant de me focaliser sur un cadre constructif et positif. Les bénéfices en sont assez nombreux : augmentation de la confiance en soi, de la détermination, de la résistance et de la combativité. Cela permet aussi d’évacuer les mauvaises émotions dans l’effort comme la frustration, la peur, le stress, la rage et la colère pouvant conduire à l’impulsivité, en les transformant en une douleur physique dont on prend le contrôle. Ceci donne la sensation de reprendre aussi le contrôle sur tout ce qui nous échappe : les autres, le handicap la maladie pour retrouver un équilibre physique et mental, compenser les manques et renforcer les faiblesses. Une fois les effets négatifs et destructeurs de ces émotions bridés, reste à réinvestir notre énergie dans d’autres centres d’intérêt, des projets…
« Être actif ou la recherche de son propre bonheur »
En dehors de cette philosophie combative qui a guidé ma vie depuis mes seize ans, un autre pôle philosophique a été une source d’inspiration pour moi, complétant la première. Elle est illustrée par une phrase de Candide de Voltaire : « Il faut cultiver notre jardin » pour tendre vers le bonheur. Nous possédons tous en nous des outils en sommeil, utiles pour fabriquer notre propre résilience tout comme nous possédons les clefs d’un bonheur simple. Ils viennent de nos ressources intérieures, de nos richesses et qualités : « notre jardin ». On a chacun les nôtres et à travers eux et nos passions, il est possible de s’accomplir, de redonner un sens à sa vie en se lançant de nouveaux défis, en se trouvant une place dans la société tout en luttant activement pour s’accomplit.
Pour ma part, les passions dans lesquelles je me suis investi ont été le chant et le sport, comme je viens de le décrire, mais aussi l’écriture. Je tiens un blog (le BLOG du SJKB) dans lequel je publie de nombreux articles concernant le handicap visuel. Je collabore depuis peu avec un syndicat de presse traitant du handicap et son journal France Handicap Info (France-handicap-info.com).. Et enfin, j’ai écrit un livre Une cécité à pas de loup , un récit de vie préfacé par le professeur Christian Hamel. Celui-ci m’avait encouragé depuis le début à venir à bout de se projet qu’il pensait utile aux autres. Il m’avait même conseillé en mai 2017 de ne surtout pas le mettre de côté. Ce que j’ai fait puisque des maisons d’édition veulent le publier. Je suis aussi président d’une association de lutte contre la cécité : l’association SJKB (sjkb.jimdo.com). ».
Par Sébastien Joachim
Correspondant F.H.I
Publication : 13/11/2018