Le président de l’ANPHIM Vincent ASSANTE : s ’interroge « Grand débat ou Grande supercherie ? »
Se plaignant à juste titre de n’être que rarement entendues, les personnes dites handicapées sont les premières à vouloir débattre de leur situation et des causes qui en sont à l’origine. En témoignent leurs nombreux engagements et leur assiduité dans les différentes commissions officielles, locales, départementales, régionales, et nationales. En témoignent aussi les innombrables propositions parfaitement réalistes, et parfois même trop modestes, énoncées par leurs Associations respectives. Le président de l’A Vincent ASSANTE, s ’interroge sur le « Grand débat ou Grande supercherie ? »
Mais non seulement elles ne sont généralement pas écoutées, mais doivent subir de surcroît de multiples remises en cause de leurs droits qu’elles croyaient acquis après le vote des lois de 1975, de 1987, de 1990, et de 2005. En témoignent l’Ordonnance du 26 septembre 2014, et très récemment l’article 64 de la loi Élan ! Sans même parler des tartuferies autour de l’augmentation de 100 € de l’AAH ou des décisions départementales cyniques et généralisées à l’envi tendant à réduire les aides à la compensation des personnes dites lourdement handicapées !
Et pourtant, malgré cette longue et douloureuse expérience acquise des promesses non tenues ou des faux-semblants des politiques gouvernementales qui se suivent et qui tendent à se ressembler, cette volonté chevillée au corps d’expliquer, et d’expliquer encore, au motif que derrière chaque homme chaque femme politique il y aurait un « coeur » et une « raison » qui doivent permettre aux personnes dites handicapées d’être entendues, en espérant être écoutées, un certain nombre de voix s’élève parmi elles pour appeler à participer au « Grand débat » proposé aux Français par le Président de la République. Et plus encore parmi les grandes Associations, gestionnaires ou non, de ce secteur !
Alors, « Grand débat » ou « Grande supercherie » ?
Cela a déjà été dit par de nombreux analystes, mais il n’est pas inutile de le répéter. Après avoir écrit dans la « Lettre aux Français », qu’« il n’y a pas de questions interdites », il ajoute un peu plus loin « Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises pour corriger cela (il s’agit de l’impôt qui de manière générale serait trop élevé NDLR) afin d’encourager l’investissement et faire que le travail paie davantage. Elles viennent d’être votées et commencent à peine à livrer leurs effets. Le Parlement les évaluera de manière transparente et avec le recul indispensable. Nous devons en revanche nous interroger pour aller plus loin ».
À l’évidence, la messe est dite ! Quant à l’évaluation « de manière transparente et avec le recul indispensable », merci beaucoup, les personnes dites handicapées ont déjà donné, confrontées qu’elles ont été aux statistiques dites officielles, mais élaborées par les représentants des lobbies immobiliers sachant peupler les alcôves des cabinets ministériels pour justifier les régressions en matière d’accessibilité, des ERP comme des logements !
Puis, viennent toute une série de questions sur « les impôts qu’il faudrait baisser » et partant sur « les économies à faire en matière de dépenses publiques », et sur « certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité » (l’utilité étant vue, bien entendu, à partir du seul raisonnement gouvernemental NDLR), ou bien encore « notre modèle social » que certains « jugent insuffisant, d’autres trop cher en raison des cotisations qu’ils paient » (évidemment, pas les mêmes NDLR). Ou bien aussi sur « la Décentralisation », autour de l’idée sous-jacente de transférer plus encore de responsabilités aux Collectivités publiques avec pour corollaire qu’elles en supportent les dépenses, et donc d’en rechercher les financements, délivrant l’État de dépenses ordonnées par le Gouvernement.
Ou bien encore sur « la Transition écologique » financée « par l’impôt, par les taxes » reposant sur les uns plutôt que sur les autres, et des solutions à concevoir « plutôt au niveau local que national ». Ou bien enfin sur la force à redonner « à la démocratie et à la citoyenneté » qui sont aujourd’hui « bousculées par des tensions et des doutes liés à l’immigration et aux défaillances de notre système d’intégration », via toute une série de petites mesures politiciennes remontant parfois à 1973 et désavouées lors d’un référendum historique !
Pourtant, les dispositions à prendre pour commencer à résoudre la situation sont connues depuis longtemps, et remises à nouveau sur la table il y a 18 mois, lors des élections présidentielles et législatives. Par exemple, multiplier par trois les tranches fiscales pour rendre plus juste l’imposition sur le revenu en soulageant les classes populaires et moyennes par une participation accrue des ménages les plus riches ; diminuer la TVA sur les produits de première nécessité et l’augmenter sur les produits de luxe ; supprimer la « flat taxe » consistant à imposer de manière uniforme toutes les entreprises à 30 % et différencier l’impôt sur les sociétés selon l’importance des entreprises, leur investissement, et leurs résultats en termes de progression d’emploi ; taxer de manière plus importante les bénéfices distribués aux actionnaires des grands groupes du CAC 40 dont les résultats, malgré la crise, ne cessent de flamber en bourse chaque année un peu plus ; faire payer, à l’instar de l’État américain, aux contribuables français le différentiel d’impôt qu’ils économisent en se domiciliant à l’étranger au nom de l’optimisation fiscale tout en étant salariés en France ; rétablir l’égalité devant l’impôt via la suppression des niches fiscales ; et bien entendu, rétablir l’impôt sur les grandes fortunes.
Ou bien encore, procéder à un grand emprunt national pour donner à l’État les moyens d’investir au plan de la transition écologique, avec l’immense avantage de ne pas augmenter la dette contractée auprès des marchés financiers et d’échapper ainsi à leurs attaques régulières, au même titre que le l’État japonais dont la dette est égale à 200 % de son PIB, à la différence que son financement provient de son peuple !
Et par ailleurs, proposer au peuple français une nouvelle Constitution à élaborer par tous les citoyens via la mise en place d’une Constituante afin de remplacer les institutions de la Ve République qui ne répondent pas aux aspirations des citoyens et à leur volonté de participer à la marche du pays via un contrôle plus étroit, et partant une démocratie enfin participative.
Mais voilà : toutes ces propositions sont antinomiques à la politique néolibérale de l’idéologue forcené – c’est d’ailleurs son droit le plus strict ! – qu’est Emmanuel Macron pour qui les investisseurs (oserons nous traduire ce mot par « riches » ?) doivent pouvoir gagner tout l’argent qu’ils souhaitent afin de leur permettre d’investir à nouveau – c’est ce que les économistes appellent « la théorie du ruissellement » – à ceci près que la spéculation en bourse n’a jamais signifié un investissement pérenne source de richesses collectives et d’emplois !
Aussi, dès lors que ce « Grand débat » ferme la porte à des mesures contraires à l’idéologie néolibérale, que peuvent en espérer les citoyens ? Et plus particulièrement, les citoyens dits handicapés ?
Une mise en accessibilité du cadre bâti ? Le quinquennat précédent et l’actuel s’inscrivent dans une logique totalement contraire et les appels successifs à la raison exprimés par les représentants associatifs et syndicaux au sein du CNCPH ont été vains pour l’essentiel, que ce soit pour les personnes atteintes d’une déficience motrice ou pour les personnes âgées en perte de mobilité, ce en totale incohérence avec le discours gouvernemental de favoriser le soutien à domicile des personnes concernées !
Un minimum de revenus décents pour les personnes dites les plus lourdement handicapées ? L’augmentation de l’AAH promise par Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle de 2017 via un rattrapage immédiat de 100 € s’est avérée non seulement inférieure au montant indiqué, mais à réaliser sur deux ans (novembre 2018 et novembre 2019) en englobant en même temps les augmentations prévues réglementairement !
Une meilleure compensation en termes d’aides humaines et d’aides techniques susceptibles de favoriser l’autonomie sociale de ces mêmes personnes ? Non seulement les budgets correspondants n’augmentent pas pour y parvenir, mais les évaluations nécessaires aux réponses équilibrées à apporter aux personnes sont durcies dans un sens restrictif pour générer des économies sur le dos des ayants droits ! Quant aux textes réglementaires prévus pour répondre à la volonté du législateur de 2005, le Gouvernement vient de refuser à nouveau de suivre les conclusions du Conseil d’État à les faire paraître, préférant répondre par la négative aux besoins reconnus et indispensables exprimés par les personnes dites handicapées !
Un meilleur accès à l’emploi pour les « travailleurs reconnus handicapés » ? Non seulement ce viatique ne peut progresser significativement que si le gouvernement prend les mesures pour une politique active de création d’emplois pour tous (ce qui est loin d’être le cas !), mais l’État n’a cessé de se désengager en transférant les charges relevant de sa responsabilité vers les Fonds spécialisés, obérant ainsi leur mission fixée par le législateur de 1987 d’accompagner complémentairement l’État dans le financement et l’accompagnement de ces travailleurs vers l’emploi !
On pourrait multiplier les interrogations générales et particulières au plan de l’éducation et de l’intégration ou de l’insertion scolaire, au plan des soins et de l’hébergement, au plan des transports et des loisirs, etc., que nous reviendrions aux mêmes conclusions. À savoir que le néolibéralisme masqué du précédent quinquennat et le néolibéralisme assumé du quinquennat actuel est, répétons-le, totalement antinomique, sauf combat politique à mener et à gagner, à la possibilité d’obtenir satisfaction aux besoins les plus élémentaires des citoyens !
Reconnaissons néanmoins à Emmanuel Macron et à ses « plumes » de faire preuve de beaucoup de talent dans la rédaction d’une Lettre qui semble proposer un débat ouvert tout en étant biaisé dès le départ, et dont on voit bien qu’elle constitue en filigrane la feuille de route fermée qu’il s’est juré de mettre en oeuvre durant sa campagne présidentielle.
Certes, Emmanuel Macron a fait preuve d’originalité, de surcroît présentée comme l’expression d’un grand courage par ses laudateurs, en entamant dans les Régions une série d’échanges durant plusieurs heures d’affilée avec les Maires, à la manière d’un guerrier descendu dans l’arène peuplée d’adversaires bien peu offensifs, allant répéter devant un nouveau cénacle ce qu’il avait peu ou prou déjà dit la fois précédente.
Mais, si les débuts d’un exercice plein de style et de panache ont pu frapper l’opinion, la répétition d’un spectacle déjà vu et sans débouchés ramèneront le problème à son origine : il est plus que temps de changer radicalement de politique pour les citoyens dits valides en général, et pour les citoyens dits handicapés en particulier !
Par Vincent ASSANTE
Président de l’ANPHIM
Publication : 29/01/2019