Londres en avance sur la question du handicap ? La France doit-elle changer sa culture et ses mentalités pour évoluer ?
Assis sur une place réservée aux personnes handicapées dans un bus londonien entièrement rouge à deux étages, on se surprend à découvrir de nombreuses particularités, quel que soit l’endroit de la ville où se pose le regard. Des caractéristiques typiques et quelques excentricités sautent aux yeux. Cependant, ce n’est pas seulement parce que cet autocar roule à gauche ou parce que certains jeunes hommes arborent de fines moustaches qui frisent aux extrémités. Non, c’est autre chose. C’est plutôt dû à ce qu’on ressent quand on est une personne handicapée, à la manière dont on se sent traité et considéré. Plus ouverts sur cette question de la différence et de ce fait plus inclusifs, nul doute que l’évolution des mentalités y est pour beaucoup, imprégnant la culture britannique et se manifestant à travers les comportements locaux et les moyens réels d’accessibilité déployés. L’occasion de faire quelques comparaisons entre le Royaume-Uni, la France et l’Espagne…
Des mentalités et des cultures différentes….
Pourtant, déambulant dans la capitale parisienne ou madrilène, on vous prête également spontanément main forte et de bon cœur. Toutefois il y a peut-être quelque-chose dans les regards et/ou dans les attitudes à votre égard qui change, car ces yeux posés sur vous, vous font souvent vivre votre handicap comme un poids social. Il faut avoir beaucoup de personnalité pour passer outre…
Visiter de grandes villes européennes permet de comparer et de tirer de vraies leçons et apprentissages quant à la façon de vivre ensemble. Au pays des chapeaux meulons, quand dès l’aéroport vous faites appel au service d’aide à la personne handicapée, vous êtes de suite impressionné par les ressources exploitées et l’organisation mise en place.
Si sur Paris (Orly ou Roissy) vous débarquez seul et que vous vous êtes signalé comme handicapé, un agent viendra vous chercher avec un camion élévateur pour vous acheminer ensuite en bus accessible privé, jusqu’aux portes de l’aérogare. C’est la même chose à Barcelone, Madrid ou Londres. Les membres de ces équipes sont d’ailleurs souvent très sympathiques et humains, quelque soit le lieu où on se trouve. Mais dès que vous arrivez dans l’enceinte des aéroports, les prises en charge sont fort distinctes.
Un flegme britannique et une culture de l’inclusion…
Si dans les trois premiers lieux un agent s’occupe parfois de deux, trois, voire cinq personnes à la fois, à Stansted aerport, on a chacun le sien. Celui-ci vous emmène d’un point A à un point B, puis deux autres agents prennent la relève chacun à leur tour pour finalement vous aider à acheter votre billet de train et vous accompagner jusqu’au wagon. Entre temps, le vendeur de tickets vous a trouvé sympa et vous a offert une réduction de 7 euros, sans que vous n’ayez rien demandé. En chemin, vous croisez des personnes qui ne vous regardent pas comme une bête curieuse et qui lorsque vous vous excusez de les avoir un peu bousculés vous répondent avec le sourire : « Mais c’est à moi de m’excuser ! ». En Espagne aussi d’ailleurs, on ne se sent pas trop dévisagé. Par contre en France, si les yeux curieux et insistants étaient des paintballs, vous seriez couverts de peinture le temps d’arriver à destination.
Après que pas moins de trois agents se soient occupés de vous sur de courtes distances, contre un seul sur Paris, vous n’avez rien besoin de faire pour que la relève soit prise en descendant du train. On vous informe juste que quelqu’un vous attendra là-bas pour vous aider à franchir toutes les étapes de la correspondance et on s’assure avec la plus grande des prévenances, que vous avez bien retenu le nom de la station où faire le changement. Avant de vous assoir, quelqu’un se sera peut-être spontanément levé et sera venu vers vous pour vous aider à trouver une place plus facilement, même si vous n’en avez pas forcément besoin a priori. Dans cet exemple, c’est bien le geste qui compte.
En descendant de la rame, quelqu’un vous attend devant les portes qui viennent de s’ouvrir et vous demande poliment si vous avez besoin d’aide. Ce qui signifie plusieurs choses. La Première le service d’aide à la personne de l’aéroport et celui des gares travaillent de concert et se coordonnent en échangeant très rapidement des informations sans qu’elles se perdent. La seconde, la ponctualités et l’organisation anglaises font que vous n’avez pas à attendre une demi-heure. Il, y a assez de personnel dédié à ce service pour que l’un d’entre eux vous accueille exactement là où vous arrivez et à l’heure pile, sans devoir courir ensuite.
Puis cet autre professionnel en costume, le quatrième de puis l’avion, vous fait passer sans encombre une autre étape pour être pris en charge par une cinquième personne chaleureuse, qui vous appelle « sweet heart » ou « darling » en conversant poliment avec vous, tout en vous faisant franchir la correspondance jusqu’à Victoria Station (plan des stations du métro accessibles).
Une fois là, re-belotte, quelqu’un vous attend devant la porte pour vous demander si vous avez besoin d’aller quelque-part. Alors cette personne vous accompagne dans un fast-food et vous offre son propre coupon de réduction avant que vous ne régliez votre note, pour vous amener jusqu’à votre taxi, en s’assurant que le chauffeur a bien compris où il fallait aller.
Et si à ce moment de votre lecture, vous vous dites que tous ces comportements sont simplement dus à un professionnalisme hors-paire, vous vous méprenez à moitié. Il y a vraiment quelque chose de plus dans la mentalité londonienne face au handicap. Le chauffeur de taxi vous fait la conversation et en arrivant devant votre location, si personne n’est là, il vous propose son portable personnel pour appeler, puis de rester avec vous sur son temps de travail après avoir réglé la note, pour ne pas vous laisser seul sur le trottoir. Lorsque vous refusez poliment, il vous demande si vous souhaitez qu’il vous aide à traverser la rue et vous serre la main avec le sourire avant de repartir. Tout ceci avec un tact, qui vous dispense de vous sentir comme un fardeau.
En conclusion, mettre le pied à Londres lorsqu’on est handicapé et qu’on a recours au service à la personne, c’est réellement une expérience qui vous met de bonne humeur et vous donne un tout autre regard sur ce qui peut être fait en matière d’accessibilité. Cela vous fait respirer un autre air et découvrir une mentalité exemplaire face au handicap. On vous fait vous sentir à l’aise avec vous-même et avec votre différence, partout où vous allez durant votre séjour.
Une société dite inclusive, mais un manque de civisme…
Chez nous, on a plutôt le sentiment d’effleurer tout juste le sujet, sans le faire avancer. Bien au contraire, on piétine. On recule d’un demi-siècle même si on se réfère à l’article 18 de la loi ELAN en matière d’accessibilité des logements.
Dans la rue, on se permet encore de squatter les places de parking réservées ou on remet en question votre statut de personne handicapée, en vous faisant limite comprendre que vous en rajoutez pour obtenir des avantages. On pourrait se dire que c’est par ignorance et que cela ne concerne qu’une minorité, cependant la vérité étant qu’on vous met sans cesse au défit de prouver votre handicap, que ce soit face à l’administration ou dans les lieux accueillant du public. Et si vous avez le malheur d’être accompagné d’un chien guide, gare à vous ! Il est en effet probable qu’on vous mette dehors manu militari ! Pourtant une loi oblige à accepter ces animaux dressés partout depuis 30 ans.
Arthur AUMOITE, qu’on a vu se faire éjecter d’un centre commercial marseillais n’est que la pointe du sommet de l’iceberg. Ce genre de fait divers est régulier. En 2014 une Enquête accessibilité dénombrait encore 25 % de refus de ces chiens. A-t´on évolué quatre ans plus tard ? Il semble que non, si on se réfère au scandale de l’expulsion d’Arthur. Ceci est simplement inadmissible !
Ce manque de civisme est une remise en question des limites et des droits des personnes en situation de handicap. Mais comment s’en étonner lorsque nos politiques agissent comme ils le font et qu’il faut sans cesse se battre pour se faire respecter face à l’administration ayant pour vocation de pourvoir à l’autonomie des personnes en situation de handicap ?
Tandis qu’Arthur et son chien sont expulsés d’un coup de pied aux fesses, en Angleterre son homonyme, Arthur Williams, présentateur télé paraplégique est une vraie star adulée.
De notre côté on se demande où sont nos peoples handicapés français. Même dans « Les Intouchables », film magnifique déflorant le tabou du handicap au cinéma français, le rôle du tétraplégique est tenu par l’excellent François CLUZET. Si l’acteur a superbement joué le rôle, il est plus que probable que les réalisateurs n’ont même pas pensé à chercher un comédien en fauteuil…
Des symboles et des cultures différentes…
Bref, assis dans un bus ou debout à la caisse d’une confiserie typiquement anglaise, on constate une autre petite différence. Une différence qui offre des pistes pour tenter d’expliquer un tel faussé de comportements et de mentalités. La symbolisation du handicap dans les lieux accueillant une clientèle ou dans les transports à Londres est une oreille blanche simplifiée sur fond bleu et barrée, c’est-à-dire celui de la surdité. Visiblement cela symbolise « Le Handicap » au sens large. Tandis que dans les grandes villes d’Espagne, c’est le dessin simplifié d’une personne tenant une canne blanche, sur le sol français, c’est une personne en fauteuil roulant.
Il est dans un premier temps intéressant de constater que la représentation archétypique de la situation de handicap n’est pas la même selon le pays. Dans un second temps on se demande pourquoi. Impossible de l’expliquer précisément sans avoir une réelle vue d’ensemble, ni une connaissance approfondie des systèmes nationaux. Seulement, on peut faire certains constats avec quelques observations.
En Espagne, le handicap est matérialisé de préférence par le symbole de la cécité. De manière certainement corrélative, on sait qu’il existe là-bas un organisme national extrêmement puissant qui insuffle un mouvement pro-handicap, dont le handicap visuel sert de vecteur à une prise de conscience générale et efficace. C’est en pleine guerre civile espagnole sous le franquisme, que la ONCE (Organización Nacional de los Ciegos Españoles) est née, prenant en charge une explosion du nombre de déficients visuels, conséquence des luttes armées. C’est au travers d’une loterie nationale se chiffrant en dizaines de millions d’euros, que cette association devenue entreprise s’est enrichie et développée, permettant aux personnes handicapées visuelles de vendre des tickets de tombola et de mieux subvenir à leurs propres besoins et de recevoir de nombreux services adaptés gratuits ou rendus abordables.
Conséquence, les personnes handicapées visuelles se mélangent plus facilement à la population, qui est habituée à y faire face, à être en contact. Avec le comportement s’adaptant naturellement à une situation qui en devient normale. Les espagnols des grandes villes sont plus attentifs et se font un devoir de vous proposer de l’aide même si vous n’en avez pas forcément besoin.
La ONCE est devenue un acteur de poids dans le paysage espagnol et les personnes handicapées visuelles y sont rattachées d’une manière ou d’une autre. Cependant ont-ils réellement accès par la suite à un travail normal, à une vie normale ? Ils sont pour le moins fortement soutenus et on les voit déambuler dans ces villes, sans que cela ne choque personne, car ils font partie du décor.Plus de quatre millions de personnes, selon le Cermi, souffrent d'un handicap en Espagne, pour un pays de 47 millions d'habitants.
Une mentalité et une culture du handicap à changer…?
En France, le handicap est symbolisé par un individu dans un fauteuil roulant, symbole à l’origine du handicap moteur, puis par extension, du Handicap. Mais il faut retenir que ce type particulier de handicap, ne représente que 2 % du nombre total de personnes handicapées françaises. Tandis que les personnes handicapées auditives, par exemple, en représentent 12 % et que le handicap visuel correspond à un autre 12 %. Pourquoi donc avoir dans un premier temps choisi le symbole du handicap moteur si minoritaire ?
On sait qu’en France, après la 1ère Guerre Mondiale, il y a eu une démultiplication du nombre de personnes mutilées. Vingt ans plus tard en 1933, naissait l’Association des Paralysés de France, dénommée aujourd’hui APF France Handicap. Son but premier était la défense et la représentation du handicap moteur. Ce mouvement a fortement inspiré la symbolique représentative initiale. Les français ont peut-être pour cette raison, bien du mal à réaliser que 98 % des diverses formes de handicap, n’a plus rien à voir avec la personne en fauteuil ?
Selon les spécialistes du sujet, une autre raison pourrait expliquer le manque de prise en compte du handicap par le français. En effet, il ne le connaît pas ou très peu, parce qu’il ne le côtoie pas dans sa vie quotidienne ou ne peut les distinguer. Alors que les personnes handicapées sont 12 millions en France, 80% de ces personnes sont invisibles à l’œil et souvent elles préfèrent le rester.
De plus chez nous, le système de prise en charge s’est imprimé comme le mode à suivre, puis comme une sorte de culture. On traite les personnes handicapées comme des incapables qu’il faut cacher chez soi ou dans des institutions (comme les Maisons d’Accueil Spécialisées par exemple). On a très vite conseillé aux familles d’enfermer leurs enfants et adultes différents, de ne pas les montrer pour les protéger de la maltraitance. Désormais il semble qu’on soit passé à une culture de la dissimulation du handicap. Celui-ci devenant peu à peu un univers méconnu, pour ne pas dire inconnu. Puis l’ignorance a engendré l’absence totale de prise de conscience sociale, jetant aux oubliettes la nécessité évidente de la mise en place de structures destinées à compenser le handicap pour tendre vers l’inclusion, l’autonomie et l’égalité des chances. Au lieu de cela, on en arrive finalement à un rejet indirect.
Utiliser les mots « inclusion » et « accessibilité » ne suffira pas à nous faire évoluer. C’est le fonctionnement, la culture et la mentalité française qu’il faut revoir. C’est l’image du handicap, son appréhension et sa connaissance qu’il faut travailler. Ne soyons pas si fiers de notre fonctionnement à la française qui ne fonctionne pas. Inspirons-nous d’ailleurs et apprenons nos leçons.
Sébastien JOACHIM
Correspondant Pour FHI
Publication : 29/10/2018