Virginie DELALANDE : "J’ai appris à parler, mais je n’ai jamais entendu le son de ma voix”. première avocate sourde
"Sourd-muet", une expression française qui a la peau dure. Née au cours des siècles de la connaissance approximative du monde des malentendants, elle subsiste encore aujourd’hui, enkystée dans notre culture et notre inconscient collectif. Même les médecins associent encore trop souvent ces deux états dans cette expression, comme si ces mots étaient fondamentalement indissociables. Pourtant, il n’y a rien de plus faux. Virginie DELALANDE , sourde profonde de naissance n’a de cesse de le démontrer et de le revendiquer. Nous sommes allés à la rencontre de cette femme hors du commun, dynamique, positive, lumineuse ... et volubile. Virginie DELALANDE, un destin qui renverse les clichés sur le handicap auditif !
Voir le jour dans une société standardisée lorsqu’on est handicapé.
Notre société ordonne, classe et archive les choses aussi bien que les gens. C’est ainsi qu’elle créée un univers façonné dans un moule : une uniformité portée aux nues. Tout y est étiqueté, administré et rangé dans des cases. Y vivre est assez simple lorsqu’on est une personne dite "normale". En revanche lorsqu’on est différent par nature à cause d’une déficience (sensorielle, physique, mentale ou psychique), cette normalité dogmatique devient très vite la source- même d’une exclusion douloureuse. En effet, vivre en marge et évoluer à contre-courant est infernal et épuisant ! Si seulement le poids normatif cessait de presser les individus différents comme des citrons. Si seulement il cessait d’appuyer sur leurs épaules et sur leur tête pour les plier et les faire rentrer coûte que coûte dans ces cases étriquées, quitte à les briser. Et si la beauté ultime ne résidait pas dans la standardisation humaine aseptisée, mais bien au contraire, dans la nature, ses richesses et sa diversité ?
Une vie à bâtir dans le silence.
Elle a ouvert les yeux pour la toute première fois et vit depuis dans un monde dépourvu de son. Sans aide auditive, elle ne perçoit rien de plus que le son d’un avion au décollage. C’est à neufs mois qu’elle a été diagnostiquée et que des médecins ont tenté de l’enfermer dans le stéréotype du sourd-muet, déclarant qu’elle ne parlerait jamais étant donné sa surdité. Cependant, d’emblée ses parents n’ont pas du tout accepté cette senteance la condamnant à ne pas communiquer par la parole. En grandissant, ils l’ont au contraire poussée et encouragée vers la communication verbale et leur fille s’est ensuite échinée à rendre possible ce qui a priori ne l’était pas pour le corps médical. Ce que les médecins ignoraient cependant, c’est qu’il ne faut pas dire à Virginie Delalande qu’elle ne pourra pas...
Après vingt années d’un travail et d’un apprentissage acharnés chez l’orthophoniste, elle est parvenue à faire mentir toutes les prédictions en parlant avec les entendants. Elle a "un petit accent exotique", comme elle le dit elle-même avec humour, car elle s’exprime sans jamais avoir entendu le son de sa propre voix, mais elle s’exprime parfaitement. "Chez les personnes sourdes, c’est l’ouïe qui ne fonctionne pas", rappelle-t-elle, "pas les cordes vocales". Ce qui l’a sauvée explique t-elle encore avec une expression rieuse, c’est qu’elle a toujours eu envie de parler et qu’elle est extrêmement bavarde.
Une force construite dans l’adversité.
Même si aujourd’hui elle rayonne, nourrie de son expérience, sûre de son identitée pleine et entière, de sa force mentale, cela n’a pas toujours été ainsi. En effet, elle a longtemps eu le sentiment "d’être trop différente, inutile, incomprise." Séquestrée chez elle, elle s’échappait de sa petite prison par la lecture. Une frénésie et une soif de découvrir qui la menaient à lire un à deux livres par jour. Sa résistance a aussi été mise à rude épreuve à cause du handicap pesamment étiqueté sur son front et des obstacles innombrables qu’il génère. Elle était encore taraudée par les incertitudes et les questions existentielles incessantes qui restaient sans réponse. Les autres pouvaient aussi parfois rendre les choses encore plus complexes. Elle a fini par traverser deux dépressions et au cours de l’une d’elle, elle avait même plannifié de mettre fin à ses jours.
Elle est sortie plus forte de ces phases difficiles et plutôt que de sombrer, elle a toujours mis ses forces au service de ses rêves, afin de les réaliser. Elle s’est fixé des buts et comme elle le décrits très bien, elle a essayé de "surnager" et de trouver des solutions pour y parvenir sans se laisser décourager par les obstacles potentiels ou réels.
Comme par nature, de toutes façons, le handicap empêche de rentrer dans le moule social, cela pousse à explorer de nouveaux horizons, à prendre des risques, à aller au-delà des limitespropres, de la zone de confort. En effet, il n’y a rien qui vous fera aller plus loin, que de tendre vous-même la main vers ce que vous désirez le plus au monde, inaccessible selon certains. Et en y mettant toute votre énergie et toute votre intelligence, vous accomplirez toujours beaucoup plus ainsi qu’en restant limités par cette "boîte" dans laquelle on ne manquera pas d’essayer de vous fourrer.
"On lui avait aussi dit, que le métier d’avocat n’était pas pour elle"
Connaissez-vous ce sentiment profond d’injustice ? Celui qui vous gifle en plein visage lorsqu’on vous considère incapable d’y parvenir en se basant sur les limites de votre handicap ? Et ceci avant-même que vous ayez eu le temps d’essayer de faire vos preuves ? Ceux qui ont seriné à Virginie, comme à d’autres, qu’elle ne pouvait pas à cause de sa nature, ont certainement cru leurs paroles justifiées par la bienséance. Elles se sont probablement senties légitimes en s’appuyant sur une logique humaine et sociale obtuse. En réalité ces individus à l’esprit étroit coupent les ailes fragiles du papillon, avant même qu’il ne s’échappe de sa chrysalide, alors qu’il en avait pourtant les moyens. Et au lieu de l’encourager à s’envoler, ils plombent sa confiance, pour le reléguer à un rôle subalterne et anodin de chenille,dans lequel il végète. Il faut énormément de force de caractère pour sortir de ce carcan social.
Quand on a dit à Virginie : “Tu es sourde, tu ne peux pas être avocate, ce métier n’est pas pour toi", pensez-vous vraiment qu’il y avait besoin de lui rappeler son état ? Qu’elle l’avait oublié ? Pensez-vous qu’elle ne méritait pas, elle aussi, d’essayer, de tenter sa chance ? Enfant, on lui avait déjà imposé de ne pas choisir le métier de vétérinaire. À ces âges, on est trop jeune pour la contradiction. Mais plus tard, alors qu’on a voulu l’orienter vers une autre faculté que celle de ses rêves, elle n’a pas plié. Son désir ardent était de "prendre la robe" et de devenir avocate.
L’université, cela a été un parcours du combattant : des cours inaccessibles et des professeurs qui refusaient de se mettre à sa place... Virginie a beau s’exprimer oralement, parler la langue des signes et pratiquer la lecture labiale, comment faire pour lire sur les lèvres de maîtres de conférence assis à dix mètres, qui vous débitent un cours, comme-s’ils avaient un train à prendre et qu'il faut en même temps prendre des notes ? Le système D et la solidarité entre étudiants ont été la réponse, ainsi qu’une volonté inextinguible et le désir farouche d’y parvenir quels que soient les efforts à fournir. Elle s’est lancée et après plusieurs années d’études, elle a obtenu son diplôme. Elle a prouvé à tout le monde que c’était possible et a ouvert une voie...
Une observation sur la situation des personnes handicapées en France ?
Les raisons qui l’ont confortée dans son choix originel de carrière viennent d’un constat : "Tout le monde n’´a pas cette capacité à encaisser les coups et à les rendre". C’est aussi pour prendre la parole et défendre les personnes moins favorisées, qu’elle désirait faire ce métier depuis toute jeune : protéger ceux qui n’ont pas cette force, ou qui n’ont pas le soutien de leur entourage, en plaidant leur cause. Lorsqu’elle s’exprime devant un journaliste de Télérama en abordant le sujet des sourds, elle met en avant l’évolution que le numérique a permis ces dernières années, mais elle fait aussi le point sur la stagnation des mauvaises conditions de vie des personnes handicapées en France : Internet "a permis d’avoir une interaction avec les autres beaucoup plus importante." .. Cela a été une conséquence fortuite et bienheureuse, mais."internet a été une libération pour les personnes sourdes et une bénédiction pour le reste de la population handicapée".
Toutefois "La vie des sourds demeure difficile. Elle pointe du doigt le fait que les personnes handicapées devraient bénéficier d’une éducation de qualité comme tout un chacun"." Il faut (...) donner la possibilité à des personnes en situation de handicap d’avoir accès à une éducation de qualité, au même titre que les autres citoyens. C’est fondamental.
L’autre urgence, c’est de permettre un accès facile et gratuit à tout ce qui relève de l’« adaptation ». Il est anormal de devoir se battre, comme c’est le cas aujourd’hui, pour obtenir un équipement, renouveler sa Carte d’invalidité, surtout quand on a un handicap irréversible. (...) C’est frustrant. Le monde du handicap est un milieu compliqué parce qu’il y a des personnes en souffrance et énormément de colère due aux difficultés d’intégration. Prenons exemple sur les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, ou l’Europe du Nord, les pays où il y a une reconnaissance de la capacité des personnes sourdes, qui exercent tous les métiers : avocat, médecin, chirurgien…".
Ses observations plus que pertinentes sont bien sûr à décliner sur tous les types de handicap. La France souffre d’un retard sur ce thème. Pourtant, nous revendiquons notre modernité, ainsi que la liberté, l’égalité et la fraternité tant promises.
Un revirement de carrière : Virginie créée “Handicapower”.
Bien que plus jeune elle ne cessait de se demander si un jour elle aurait quelqu’un dans sa vie ou si elle pourrait trouver du travail, Virginie a construit une vie de famille, ainsi qu’une carrière florissante.
Son diplôme en poche, elle ne voulait pas léser ses clients au cours de ses plaidoiries. Elle craignait de ne pas être suffisamment bien comprise à cause de son "accent exotique". C’est pour cela qu’elle a réorienté sa carrière avec succès. Elle est devenue juriste d’entreprise, puis chef de projet marketing. Et lorsqu'elle décrit son parcours professionnel, elle n’oublie pas d’avoir une pensée de gratitude pour les supérieurs qui lui ont fait confiance et ont cru en ses qualités sans être freinés par les limites liées à sa surdité. Au contraire, il lui ont donné l’opportunité de démontrer que bien au-delà du handicap, il y a aussi du talent. Virginie a pu déployer ses ailes !
Elle est une femme très positive qui croit en l’humanité. Elle pense que de nos jours, nous sommes beaucoup trop individualistes et tournés vers le mercantilisme. Elle est persuadée qu’il est nécessaire de revenir à plus de valeurs et de sensibilité, plus de respect et de respect de soi-même. Le monde des personnes handicapées changerait certainement du tout au tout si notre société commençait par ouvrir son esprit sur la différence et le potentiel qu’elle génère.
En attendant, Virginie est convaincue que ces personnes différentes ont besoin de soutien pour retrouver de la confiance en elles. Elle a justement décidé de se lancer un nouveau défi en revenant vers cette minorité silencieuse. Celle qui souffre encore trop souvent dans l’ignorance la plus totale. Elle a abandonné le juridique pour devenir coach, formatrice, conférencière en créant Handicapower. Avec cette entreprise, elle les accompagne et les aide à transcender leur existence. Ensemble ils peuvent lui redonner du sens en visant l’épanouissement personnel.
Selon elle, le ""handicapower", c’est (...) aller au-delà de la simple acceptation du handicap et du regard des autres et se demander comment tirer parti de cette expérience de vie pour retrouver une place positive et inspirante au sein de notre société."
Son leitmotiv ? Le lâcher prise, c’est-à-dire accepter son imperfection et sa nature. Il s’agit certainement d’assimiler le fait que d’être différent et de ne pas entrer dans le moule, n’est pas un mal, mais au contraire un atout. Finalement, peut-être sommes-nous tous parfaits dans nos imperfections ?
Pour la coach d’Handicapower, il est de plus nécessaire de se détacher de la colère engendrée par les frustrations, liées à un état auquel on ne peut pas grand chose.Une fois qu’on est plus serein, on est capable par exemple, de faire le tri entre les personnes fermées et les autres. "Par la force des choses on s’entoure de gens merveilleux qui font ressortir le meilleur de nous-mêmes en nous acceptant tels que nous sommes". Pour conclure s’il y avait un message fort à retenir dans tout ce que Virginie Delalande tente de nous enseigner, ce serait celui-ci : "Ce n’est pas parce qu’on a un handicap qu’on est forcément dépendant des autres. On peut se rendre indispensable." " Libérez votre Handicapower ! Prenez votre vie en main et réalisez la vie qui vous inspire !"
Portrait réalisé par
Sébastien JOACHIM
Publication : 21/12/2018